Quiconque a déjà regardé Le diable s'habille en Prada, House of Gucci, Prêt-à-porter (ou n'importe quel autre film sur l'industrie de la mode) sait que la mode est une affaire sérieuse. En 2023, l'industrie mondiale de la mode était estimée à 1 700 milliards de dollars. Entre 2000 et 2014, la production de vêtements a doublé et le nombre de vêtements achetés par habitant a augmenté d'environ 60 %.
La « fast fashion », ou mode éphémère, a joué un rôle important dans la croissance du secteur, avec la compression des cycles de production et des modèles produits à la minute qui permettent aux acheteurs de rafraîchir leur garde-robe rapidement et à moindre coût. Outre que ce modèle économique a eu des répercussions sociales négatives sur les travailleurs des pays producteurs, il a entraîné une surproduction importante, comme en témoigne l'augmentation drastique des tendances saisonnières de la mode par rapport au début des années 2000.
La surproduction de vêtements, les niveaux croissants d'utilisation de matériaux, y compris les plastiques, et la réutilisation limitée des articles de mode sont autant de facteurs qui contribuent à la problématique posée par la fast-fashion. Elle génère des déchets importants, un pourcentage élevé d'articles étant jetés après une usure minimale. Plus de 60 % d'entre eux finissent en décharge ou incinérés chaque année. De fait, les émissions totales de gaz à effet de serre provenant de la production de textiles sont estimées à 1,2 milliard de tonnes par an, et dans l'UE, la consommation de textiles représente désormais le quatrième impact négatif sur l'environnement et le climat, et le troisième sur l'utilisation de l'eau et des terres.
Cela dit, la prise de conscience et les préoccupations croissantes concernant le développement durable dans l'industrie de la mode commencent à changer les perceptions et conduisent à des demandes en faveur d'une plus grande transparence. Les consommateurs comme les régulateurs prennent des mesures à la fois pour mieux comprendre les complexités de la chaîne de valeur textile mondiale et pour lutter contre l'excès de déchets. À ce titre, Lee Metters, Group Business Development Director chez Domino Printing Sciences et Regina Wilhelm, Environmental Manager chez Brother, examinent le rôle que les Passeports numériques des produits peuvent jouer dans la résolution des problèmes de durabilité, ainsi que les avantages de la mise en œuvre de la sérialisation au niveau de l'article pour les marques du secteur de la mode.
Réduire les déchets par le biais d'un changement de réglementation
En mars 2022, la Commission européenne a publié sa Stratégie pour des textiles durables et circulaires, qui prévoit un avenir proche dans lequel :
« les produits textiles mis sur le marché de l’Union sont à longue durée de vie et recyclables, dans une large mesure fabriqués à partir de fibres recyclées, exempts de substances dangereuses et produits dans le respect des droits sociaux et de l’environnement. Les consommateurs bénéficient plus longtemps de textiles de qualité élevée à des prix abordables, la mode éphémère est démodée et des services de réemploi et de réparation rentables sont largement disponibles. Dans un secteur textile compétitif, résilient et innovant, les producteurs assument la responsabilité de leurs produits tout au long de la chaîne de valeur, y compris lorsqu'ils deviennent des déchets. L’écosystème des textiles circulaires prospère, s’appuie sur des capacités suffisantes et innovantes de recyclage des fibres en boucle fermée, et l’incinération et la mise en décharge des textiles sont réduites au minimum. »
Pour mettre en œuvre une partie de cette stratégie, l'UE compte sur son Règlement sur l'écoconception pour des produits durables (ESPR), qui implique le développement « d'exigences contraignantes en matière d'écoconception spécifiques aux produits afin d'accroître les performances des textiles en termes de durabilité, de réutilisation, de réparabilité, de recyclabilité des fibres en boucle fermée et de teneur obligatoire en fibres recyclées, afin de minimiser et de surveiller la présence de substances préoccupantes et de réduire les effets néfastes sur le climat et l'environnement ».
Parallèlement à ces évolutions réglementaires à l'échelle de l'UE, les États membres ont également pris des mesures pour rendre la mode éphémère moins attrayante, notamment en proposant récemment une surtaxe environnementale sur les articles de mode à bas prix.
À la base de ces réglementations se trouve le Passeport numérique des produits (PNP), un dossier électronique obligatoire qui permettra à tous les acteurs de la chaîne logistique textile d'accéder à des « informations claires, structurées et accessibles sur les caractéristiques de durabilité environnementale des produits ». La date finale de mise en œuvre du PNP est prévue entre 2026 et 2030. Bien que les détails des données à inclure dans le Passeport restent encore à définir, il est probable qu'elles comprennent au minimum des données enregistrées sur les produits tout au long de la chaîne logistique, y compris l'approvisionnement en matières premières et les processus de fabrication, ainsi que des informations supplémentaires sur la réparabilité, la recyclabilité et les options de fin de vie.
Des supports de données pour faciliter la mise en œuvre du PNP
En substance, l'objectif du PNP est de créer un jumeau numérique du produit physique et d'enregistrer les données relatives aux événements, aux transactions et à la durabilité tout au long de son cycle de vie. Pour qu'un PNP pour les articles de mode fonctionne, il devra être accessible via un support de données économique, accessible à tous les acteurs clés, y compris les fabricants, les importateurs, les détaillants et les consommateurs, et capable de durer aussi longtemps que le produit. Les applications potentielles pourraient inclure un QR code, une étiquette RFID ou une autre technologie telle que la communication en champ proche (NFC). Parmi les différentes technologies disponibles, nous considérons le QR code comme le choix le plus évident, compte tenu de sa rentabilité relative et de sa compatibilité avec les téléphones mobiles grand public et les scanners de la chaîne logistique.
L'une des solutions les plus transparentes et les plus reconnues à l'échelle mondiale serait un QR code augmenté GS1, une solution à code-barres unique conçue spécifiquement pour donner accès à des sources multiples d'informations numériques concernant un produit, et qui peut être facilement mise à jour sans qu'il soit nécessaire de modifier le code final. En tant qu'organisme international de normalisation, le GS1 est un partenaire essentiel pour les acteurs de la chaîne logistique textile, avec des normes et des services qui permettent à toutes les parties d'identifier, de capturer et de partager des données clés qui aideront à déterminer les références d'un produit relativement au développement durable.
En termes d'application, les QR codes augmentés GS1 pourraient être appliqués sur les étiquettes d'entretien existantes plutôt que sur les étiquettes de prix amovibles (imprimées ou codées au laser, selon le matériau utilisé), ce qui les aiderait à accompagner le produit pendant toute sa durée de vie. Par ailleurs, dans le cadre d'applications directes sur film, le QR code pourrait être conçu et imprimé sur des films spéciaux, puis transféré directement sur le vêtement à l'aide d'une presse à chaud, ou même cousu directement sur le vêtement ou encore intégré dans son design.
Solution DPP pour l'impression de codes QR sur les étiquettes d'entretien des vêtements, développée par Tongadive, imprimée par Brother.
Les avantages des QR codes augmentés GS1 dans le cadre de la sérialisation d'articles uniques
Malgré le coût relativement abordable des QR codes imprimés, la mise en œuvre des PNP pour les textiles entraînera probablement des frais pour les fabricants de vêtements. C'est inévitable, car cette évolution est régie par la réglementation et obligera l'industrie à s'aligner. Même s'il est peu probable que la sérialisation des produits au niveau de l'article soit une exigence du PNP pour les textiles, les capacités supplémentaires obtenues au prix d'une augmentation mineure du coût offrent l'opportunité de tirer des avantages de cette obligation de conformité, et permettront aux marques de préparer leurs opérations pour l'avenir, si la sérialisation devient obligatoire.
Cette solution présente notamment les avantages suivants :
- Offrir aux consommateurs différentes expériences avant et après l'achat d'un produit, depuis les promotions avant l'expédition jusqu'au marketing après-vente un an ou plus après l'achat initial ;
- Proposer des services supplémentaires pour promouvoir la longévité d'un produit, tels qu'un certain nombre de réparations gratuites incluses dans le prix de l'article d'origine ;
- L'accès à des systèmes de consigne numérique pour les vêtements (par exemple pour améliorer les taux de recyclage ou permettre de récupérer de l'argent lorsqu'un article est retourné en magasin) ;
- Pour les articles de plus grande valeur, la garantie d'authenticité par la création d'un identifiant unique qui peut être utilisé pour suivre le produit tout au long de son cycle de vie, minimisant ainsi le risque que des produits faux ou contrefaits soient achetés par inadvertance.
En effet, le fournisseur de solutions d'identification numérique Kezzler a récemment observé que certaines marques mettaient déjà en œuvre des QR codes augmentés GS1 avec sérialisation - actuellement sans utilisation spécifique. En adoptant dès maintenant la sérialisation au niveau de l'article, ces marques développent une infrastructure qui est sûre de prendre en charge toutes les exigences imposées par le règlement final sur le PNP en matière de données. En sérialisant les articles, les marques peuvent également répartir le coût de mise en œuvre et auront une longueur d'avance pour explorer et capitaliser sur les utilisations alternatives plus tard.
Réflexions finales : recycler pour lutter contre les déchets excessifs
La chaîne de valeur du textile est complexe et le recyclage est l'un des domaines où l'industrie manque de données pour opérer un changement durable. Alors que les vêtements fabriqués à partir de fibres recyclées pourraient contribuer à lutter contre le problème des déchets, les moyens de suivre les vêtements et de collecter ceux qui conviennent au recyclage font défaut. En outre, l'industrie de l'habillement souffre du même problème que les autres matériaux d'emballage : le flux de déchets est contaminé, et il n'y a que peu ou pas de moyens d'identifier où se trouve la contamination.
Le partage des données sur le volume, la localisation et la composition des déchets générés pourrait aider l'industrie à prendre des mesures vitales pour évaluer le plein potentiel du recyclage des textiles, le PNP jouant un rôle clé pour faciliter le partage des données et la traçabilité.
La mode est un secteur d'activité qui pèse lourd sur le plan économique, mais elle est aussi une source importante de déchets. L'industrie de la mode étant intégrée dans un système complexe de chaînes de valeur mondiales, elle nécessite des efforts à l'échelle du secteur pour repenser les circuits d'extraction, de production et de distribution, et pour apporter des changements de manière transparente.
L'objectif global de l'industrie est de réduire considérablement son empreinte carbone et de prolonger la durée de vie des vêtements. Les marques qui prendront des mesures pour atteindre cet objectif pourront prouver les actions mises en œuvre en adoptant le PNP dès le début, et celles qui le feront seront également les mieux préparées pour transformer leur obligation de conformité en une véritable opportunité commerciale.